Ancienne militante maoïste - tendance dure -,
devenue féministe MLF
puis boute-feu situationniste,
cette actrice rousse aux yeux verts était aussi enragée qu’elle était belle.
Sa beauté ne la pacifiait en rien ; la séduction qu’elle exerçait
sur son entourage ne la rendait que plus critique,
voire haineuse à l’égard de toutes les formes de dépendance,
de soumission, d’exploitation.
Pourtant, pour calmer son feu intérieur, elle-même n’avait trouvé
comme maître qu’une dépendance extrême, un esclavage : l’héroïne.
Pendant vingt-trois ans, elle avait lentement descendu les marches
infernales de la plus dure des drogues.
Mais sa rage de vivre était telle qu’elle avait tenue bon - au point
de traverser indemne un cancer !
Mais un autre maître l’attendait.
Un matin, elle apprit qu’elle était séropositive.
Alors, pour la première fois de sa vie, tout se mit à basculer.
A s’inverser.
D’abord, elle voulut garder le contrôle.
Se suicider.
S’euthanasier vite fait bien fait...
Trois ans plus tard, elle me raconta comment, lentement,
après tant de chemin parcouru dans un désert spirituel,
tout un univers s’était éveillé en elle, qui illuminait désormais sa vie
et, par contagion, celle de tout son voisinage.
Nouvelles Clés : Comment avez-vous appris que vous étiez séropositive ?
Martine Knecht : Après des examens, à l’hôpital.
On m’a dit : " Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle :
votre cancer, c’est fini, mais par contre vous êtes séropositive. "
N.C. : Vous avez demandé à voir la psychologue de service ?
M.K. : Non. Je me suis immédiatement retrouvée dans un état
où je n’étais plus capable d’entendre des choses raisonnables.
J’étais anesthésiée.
Une voix intérieure me hurlait : " Voilà, tu as perdu la guerre ! "
et une image s’est imposée : je me suis vue guerrière, à cheval,
soudain désarçonnée
et jetée au sol, mais avec un pied coincé dans l’étrier,
mortellement entraînée par ma monture devenue incontrôlable.
C’était ultra-violent et très net, puisque le cheval, chez les toxicomanes,
c’est l’héroïne.
Je n’ai plus du tout contrôlé mon histoire.
Je venais d’apprendre que se déroulait au fond de ma chair une partie
que je venais de perdre.
Sur le coup, je n’avais même pas peur de mourir.
Mais j’étais atrocement humiliée.
J’ai dormi, prostrée.
Et dès mon réveil, je me suis dit :
" Finissons-en, je vais m’achever ".
Par overdose.
C’était un vieux fantasme d’adolescence.
Le suicide.
Garder le contrôle.
En réalité, je n’ai jamais été suicidaire, sinon je serais morte
depuis longtemps.
N’empêche, j’ai salement replongé.
Moi qui, à l’époque, avait réussi à arrêter de me piquer,
moi qui retravaillais...
de me savoir séropositive m’a fait replonger à pic.
Pendant trois mois, je me suis reshootée, à mort.
Vertigineusement.
La poudre, c’est l’état de foetus.
On est dans une protection totale.
Plus rien ne peut nous arriver.
On est anesthésié émotionnellement.
C’est l’amant ultime.
Celui qui tue.
Mais c’est vraiment l’anti-spiritualité.
La spirale descendante.
On va dans le noir et soutenu par tout un romantisme de poètes maudits.
Tout le mouvement destroy... que je revendiquais politiquement avec,
en arrière-fond une vélléité esthétique.
Les flics débarquaient, ils n’avaient qu’à regarder mes fringues
dans le placard pour tout savoir de moi.
C’était toute une carte sociale que je jouais.
Les loubards, leur apparence sociale, c’est la violence délinquante,
ils y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux.
Pour moi, ça passait par un romantisme forcené.
Ce que j’ai eu le plus de mal à lâcher, c’est le romantisme.
Ce romantisme, c’est vraiment de la merde.
La fermeture totale.
Il n’y a plus que soi et Dieu. Dieu étant la poudre.
Osmose et autarcie absolues.
Le moment où j’ai été le plus en danger dans ma vie, ce n’est pas
quand j’aitouché le fond de l’enfer, couchée par terre dans la rue,
les bras en sang,
ne me lavant plus, aspirant l’eau des chiottes dans ma seringue.
J’avais toujours, au fond de moi, une espèce de flamme, quelque chose de fondamental
qui me poussait à me dire que rien de tout cela n’avait d’importance, qu’il fallait continuer.
Quelque chose de lumineux, quasiment inconscient, me poussait à continuer,
coûte que coûte, à travers tous ces rôles que je m’ingéniais à jouer
sans arrêt (d’autant plus emprisonnée
que j’étais actrice et que j’avais appris à me glisser à fond dans
des personnages,
sans parler de toute la frime du show-bizz,
que je méprisais mais qui me tenait bien).
Or, à la fin, cette flamme intérieure s’est quasiment éteinte.
Je ne prenais pourtant plus qu’un quart de gramme par jour,
mais je ne pouvais strictement plus communiquer.
J’étais emmurée vivante.
Dans l’antichambre de la mort.
Mais de la vraie mort.
La néantisation !
Je débranchais le téléphone, je pleurais tous les soirs en pensant
à la mort de mon chat.
N.C. : Qu’est-ce qui vous a arrachée de là ?
M.K. : Une rencontre. Par hasard. Mais il n’y a pas de hasard, évidemment.
C’étaient des toxicos qui avaient réussi à arrêter pour de bon.
Grâce à une association, Narcotiques Anonymes (N.A.),
qui comprend des groupes thérapeutiques exclusivement composés d’anciens toxicomanes.
Il faut tout de suite préciser que, pour nous, chez les N.A.,
nous ne sommes pas toxicomanes, mais dépendants.
N.C. : Quelle différence ?
M.K. : La dépendance est un comportement lié à l’autodestruction,
à la fuite de la réalité, à l’ego.
Je peux supprimer la drogue, il me restera le même comportement
dans tous les domaines de ma vie - l’affectif, le sexe, le travail, l’argent...
Tout le monde est dépendant de quelque chose.
Et les toxicomanes qui s’en sortent ouvrent une voie pour tout le monde.
Au début je n’ai pas compris.
Je ne voyais pas le rapport entre la drogue et ce que l’on me disait
dans ces groupes.
Je les ai entendus parler de différentes "étapes" : la première,
c’était l’acceptation ; la seconde la confiance ; la troisième l’ouverture
sur l’éveil spirituel...
N.C. : Quel effet vous faisaient ces mots ?
M.K. : D’abord je me suis dit :
" Une secte, sauve qui peut, ils vont me laver le cerveau ! "
L’horreur.
L’idée d’admettre mon impuissance me donnait carrément la nausée.
Le mot "spiritualité" m’était insupportable.
Mais au fond de moi, c’était déjà inscrit.
Pendant des semaines et des semaines, je suis retournée les voir.
Pour les arroser de critiques.
Une critique radicale, ultra mentale, que j’avais tellement pratiquée,
tellement aimée.
Je leur ai démontré, point par point, qu’ils n’étaient
que des réactionnaires
et des fascistes, avec leur programme de lâcher-prise
et d’acceptation d’impuissance.
Je les ai emmerdés pendant des semaines.
Ils ne bronchaient pas.
Mais un jour, l’un d’eux m’a dit :
" Tu as certainement raison, mais moi je suis clean, j’ai tout arrêté,
et toi non. "
Ce fut une claque.
Dix ans avant, coincée de la sorte, je me serais tiré une balle dans la tête,
pour sauver l’honneur.
Alors que maintenant...
N.C. : Maintenant ?
M.K. : C’est fou. Je dis merci !
J’ai l’impression d’avoir quinze ans, d’être une enfant !
A la limite, je remercie le sida !
C’est fou, je dirais presque que je ne regrette pas ce qui m’arrive.
Je devais sans doute en passer par là pour comprendre,
enfin, pour ouvrir les yeux.
Je suis une enfant sur le chemin de la spiritualité.
N.C. : C’est quoi, la spiritualité ?
M.K. : Attention, je me méfie encore atrocement de Dieu.
Parce que "Dieu"...
cela pourrait me détourner de ma propre expérience.
Pour moi, la spiritualité représente quelque chose de personnel.
Une quête. Des expériences. C’est vécu.
Pas comme leurs religions mortes.
La foi, ça se cherche.
Le jour où je la trouve, je m’arrête.
Ce qui est curieux,
c’est que je n’ai pas la foi en quelque chose ou en quelqu’un.
J’ai la foi tout court.
C’est devenu un verbe intransitif.
J’ai la foi, et ça me fait renaître, ça me réapprend à vivre.
N.C. : Comment cela s’est-il passé ?
M.K. : A partir du moment où j’ai accepté ma mort,
j’ai accepté ma vie,
c’est-à-dire accepté le sens.
J’ai retrouvé le sens.
Maintenant, je vis chaque moment de ma vie comme une expérience.
Il peut encore m’arriver de me trouver très mal, mais j’ai appris
à ne pas tenter de contrôler l’incontrôlable.
Accepter ce qu’on est, se le pardonner, c’est vraiment
la première base spirituelle.
Je crois que je me suis pardonné.
Mais c’est un chemin où l’on est souvent seul, avec un ennemi mortel :
le mental.
La gamberge, les projections mentales, c’est tout le contraire de la liberté.
C’est ma prison.
J’ai compris que le mental était exclusivement au service de mon ego.
N.C. : Pourquoi, au fond, cette haine du religieux ?
M.K. : J’ai été élevée chez les soeurs.
Elles m’ont inspiré une haine profonde.
Aujourd’hui, je me dis que seule la spiritualité vécue est intéressante.
Or, je ne vois pas ça dans les religions.
Mais je détestais aussi la nature.
La montagne me terrifiait.
La terre, l’herbe, les arbres me faisaient vômir.
Il y avait tout un tas de choses là-dessous, que je ne supportais
littéralement pas.
Ça me rappelait directement la mort.
Si des copains m’emmenaient un week-end à la campagne, c’était l’angoisse.
En ville, au moins, on était dans le leurre parfait, c’était très bien.
Le néon, le béton, les boîtes, les manifs, les réunions intellectuelles,
les délires sophistiqués, tout ça m’allait très bien.
C’était mes repères.
Il y avait une seule exception : la mer.
Peut-être parce qu’elle contient une charge spirituelle telle,
que ça me rassurait.
N.C. : Aviez-vous essayé la psychanalyse ?
M.K. : J’avais tenté.
Mais je ne pouvais me soumettre.
Quitte à m’explorer moi-même, j’étais plutôt tentée
par les drogues hallucinogènes.
Ça m’avait emmenée dans d’autres royaumes, très sécurisants,
où ma vie ne se jouait pas.
Ce que je découvre aujourd’hui existe de manière tellement plus...
Comment dire ?
En fait, je ne peux vraiment en parler qu’à un autre séropositif.
N.C. : Pourquoi ?
M.K. : Bien sûr,
la voie directe vers l’Infini, sans une once de rituel, la voie abrupte,
verticale,
est la plus difficile, mais aussi la plus efficace, la plus réelle.
Cela dit, tout seul, on n’y arriverait pas.
Repousser l’ego, s’ouvrir l’esprit, cela passe déjà très simplement par la communication avec les autres.
Or, les plus proches de moi, ce sont les autres séros (séropositifs).
Beaucoup d’entre eux vont très mal.
Ils sont en train de mourir d’une autre maladie que le sida,
d’une maladie mentale.
La seule issue pour un séropositif, c’est d’accepter une fois
pour toutes
qu’il est mortel et essayer d’apprivoiser cette idée.
Or la médecine, dans l’ensemble ne nous y aide pas du tout.
Il faut voir le brave toubib en train de consulter votre dossier :
il vous tue d’emblée, même quand il se croit constructif :
" Oh-là-là, ces T4 qui baissent, j’aime pas ça, j’aime pas ça !
Allons mon petit, il faut vous reprendre, il faut vous battre ! "
Nous sommes bombardés du matin au soir par une réalité
qui n’est pas la nôtre.
Qu’est-ce qu’on en a à faire, normalement, des "T4" ?
Un jour, je suis ressortie complètement abattue de l’Institut Pasteur,
parce qu’on m’y avait trafiqué les T4 qui étaient " gravement descendus ".
Le médecion m’avait dit :
" Ça chute, vous serez bientôt à l’AZT."
Je suis rentrée chez moi, j’ai eu de la fièvre pendant deux jours.
Même chose avec les émissions de télé.
Nous ne les regardons jamais.
Elles nous font trop mal.
Parfois, dans le groupe des séropositifs des Narcotiques Anonymes,
il y en a un qui arrive, défait :
" Je n’ai pas pu m’empêcher de me faire du mal,
j’ai regardé l’émission sur le sida.
" Il va mettre des jours à s’en remettre.
Alors que, tout seul dans son coin, on se découvre des ressorts secrets,
tellement plus fins, plus simples.
Comme certaines cassettes de relaxation
- La Fontaine des lumières par exemple –
que beaucoup de séros utilisent quand ils vont mal, par exemple
quand ils sortent de la consultation.
Ça vous branche sur l’inspiration et sur l’expiration.
On entend un bruit de pompe.
On se remplit d’eau et on expire.
La voix dit : " L’eau que vous prenez, c’est la source, votre mère
qui vient de très loin.
Remplissez-vous de cette eau et expirez.
L’eau, c’est votre sang,
et vous vous lavez le sang, l’eau emportant tous les miasmes,
vous la rejetez dehors par un jet extrêmement violent,
qui est purifié par le soleil
et retombe sur vous en gouttelettes d’eau pure.
" Et vous arrivez à le sentir, c’est extraordinaire !
C’est vraiment de l’eau spirituelle.
Cela dit, heureusement, de plus en plus de médecins comprennent cela.
Des toubibs qui soignent gratuitement
et parviennent à maintenir en forme des personnes
qui, officiellement, devraient êtres mortes.
Les médecins officiels les appellent des charlatans.
Mais eux, avec leur AZT, que font-ils, sinon conforter leur impuissance ?
Pourtant, ça bouge.
Même à Pasteur,
Montagnier a dit que le sida avait changé le rapport du médecin au malade,
que c’était un virus qui avait amené une notion de spiritualité
dans la maladie.
Mon médecin me dit :
" Martine, je ne peux pas te guérir, mais je peux te soigner."
Quand on me parle comme ça, j’ai confiance.
Et il peut alors se passer des choses incroyables.
Comment dire ?
Entre nous,
dans le groupe "séro", nous disons
que nous avons "quelque chose de plus" que les autres.
Qu’est-ce qu’on rigole !
Vous ne pouvez pas imaginer.
Avec aussi, parfois, des accès de rage !
Comme la fois où on m’avait demandé de participer à un débat à la radio.
J’étais en train d’expliquer tout ce que je vous raconte
(les séropositifs ont tellement besoin d’informations positives, spirituelles,
c’est comme un baume invisible, le mental compte beaucoup dans les défenses immunitaires),
et tout d’un coup une autre participante au débat me coupe net la parole,
une hystérique, médecin, qui balance :
" Nous compatissons tous, et je compatis à l’énorme détresse de Martine.
" Sciée, je veux reprendre la parole, pour demander à cette femme
où est son problème
et si elle ne veut pas que je lui indique l’adresse d’un bon psychiatre,
pour soigner la sienne, de détresse...
Ils ne m’ont pas rendu la parole.
Je n’ai rien pu répondre à cette cinglée !
Je m’en étranglais de fureur.
Ça oui, ça tue.
Alors on rentre dans la résistance :
" Les séros parlent aux séros. "
Entre nous, on peut vraiment rire.
C’est essentiel.
Tout seul, on ne s’en sort pas.
Etre un séropositif isolé, en province, ça peut être très, très dur.
Il faut briser cet isolement, oser aller parler.
Il y a des gens en train de mourir
parce qu’ils n’osent dire à personne
qu’ils sont malades, même pas à leur médecin,
parce que c’est celui de leur famille et que ça...
N.C. : Pouvez-vous en dire plus sur les narcotiques anonymes ?
M.K. : Dans cette association,
bâtie sur les mêmes principes que celle des Alcooliques Anonymes,
on se retrouve porté par un incroyable réseau de solidarité.
J’y suis depuis plus de deux ans
et j’ai encore quatre correspondants
qui m’appellent au téléphone tous les jours !
Le fonctionnement repose sur l’identification d’une personne
qui veut arrêter de se shooter à une autre personne qui a déjà réussi à s’arrêter.
Avant cela, j’avais tout essayé :
les électrodes, changer d’amant, me faire enfermer un mois quelque part...
ça n’avait jamais marché.
Aux N.A., nous disons :
" Vous êtes atteints d’une maladie mortelle, la seule démarche que vous puissiez entreprendre,
c’est d’abord de vous en remettre à quelque chose de plus fort que vous.
" C’est en s’avouant impuissant et seul, que le cercle vicieux se brise.
Et cela passe évidemment par les relations aux autres.
Les pleurs, les aveux, le rire, la dérision...
Tout cela est extrêmement chaleureux.
Il y a dans ces groupes une énergie spirituelle que je ne peux pas expliquer rationnellement.
Quand on dit qu’il s’agit d’un programme " d’amour inconditionnel ", c’est vrai.
Pourtant, croyez-moi, quand j’ai débarqué là-dedans
et que j’ai entendu ces mots, je me suis cabrée !
Le mot " amour inconditionnel " me dégoûtait,
je le trouvais franchement gluant.
Maintenant j’en suis sûre, on ne fait pas un trajet spirituel impunément.
A partir d’un certain moment,
on se trouve pris dans une démarche à long terme,
qu’on est obligé d’accepter.
Il y a des rechutes graves, chaque fois que vous n’acceptez pas une épreuve.
N.C. : C’est-à-dire ?
M.K. : Nous suivons un parcours en douze étapes.
Au début surtout, pendant les trois premières années,
il y a des épreuves très difficiles pour le toxicomane qui décroche.
J’ai déjà mentionné les quatre premières.
Permettez-moi de vous lire les intitulés de ces douze étapes :
1.- Nous avons admis que nous étions impuissants devant notre maladie
et que nous perdons la maîtrise de notre vie ;
2.- Nous en sommes venus à croire qu’une puissance supérieure
à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison ;
3.- Nous avons décidé de confier notre vie aux soins de Dieu,
tel que nous le concevions
- ça peut être la musique, la beauté, l’harmonie, l’amour, ce que tu veux ;
4.- Nous avons courageusement procédé à un inventaire moral minutieux
de nous-mêmes ;
5.- Nous avons avoué à Dieu tel que nous le concevons, à nous-mêmes
et à un autre être humain, la nature exacte de nos torts...
pour la cinquième, on s’en remet encore au groupe,
mais la sixième étape est extrêmement dure ;
6.- Nous avons pleinement consenti à ce que Dieu,
tel que nous le concevons, élimine tous nos défauts de caractère...
Or là, on s’aperçoit vite que tous ces "défauts",
c’est ce qui cuirasse notre ego.
C’est la peur, c’est l’orgueil, c’est la jalousie...
Quand on arrête de se droguer, qu’on quitte l’état foetal,
on se retrouve dans la rue comme un bébé de deux ans,
on a peur de tout.
On préfèrerait qu’on nous enferme.
C’est là que l’association nous dit :
" Non, c’est normal, ouvre-toi, parle, partage ta peur,
qu’est-ce qui te fait peur ? "
Et ça marche incroyablement, c’est la magie de la parole, du lien.
7.- Nous lui avons humblement demandé
de faire disparaître nos déficiences.
Les sixième et septième étapes sont impressionnantes.
Actuellement, j’en suis là moi-même.
A la sept.
Les cinq étapes suivantes disent :
8.- Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées
et consenties à leur faire amende honorable.
Il s’agit de s’avouer tout les grosses culpabilités qu’on se traîne,
les haines, tous ces poisons,
dont il faut se défaire avant de pouvoir entrer dans la compassion.
9.- Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes partout
où c’était possible,
sauf lorsque ce faisant, nous pouvions leur nuire ou faire tort à autrui.
10.- Nous avons poursuivi notre inventaire personnel
et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus.
11.- Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer
notre contact conscient avec Dieu
tel que nous le concevons,
lui demandant seulement de nous faire connaître sa volonté
à notre égard
et de nous donner la force de l’exécuter.
Enfin, la douzième, qui consiste à transmettre :
12.- Ayant connu un éveil spirituel comme résultat de ces étapes,
nous avons alors essayé de transmettre ce message aux autres
(dépendants) et
de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.
N.C. : A partir de quand avez-vous pu prononcer sans malaise des mots
comme "Dieu", "spiritualité", "prière" ?
M.K. : On entre dans le processus à son insu.
C’est une forme d’initiation.
La règle d’or porte sur la peur : oser en parler.
Et sur le parrainage : ne jamais se retrouver seul.
Apprendre à accepter de demander de l’aide.
Vous êtes en liaison avec des dizaines, des centaines de gens,
des gens qui vous plaisent, d’autres qui ne vous plaisent pas.
La spiritualité, on accepte d’en prendre conscience quand l’abandon
du contrôle commence à s’avérer efficace.
On a une liberté terrible, quand on abandonne le contrôle.
En fait, j’avais déjà eu des expériences spirituelles,
par exemple quand ma mère est morte
- j’avais vingt ans -, mais c’était resté à part,
je n’avais pas intégré cette expérience à ma vie.
Aujourd’hui, mon existence a complètement changé.
J’ai toujours peur de la dégradation physique,
mais plus du tout de la mort.
Du coup, je suis beaucoup plus présente,
j’ouvre les yeux, je découvre des rues, des maisons,
des visages devant lesquels
j’étais passée des milliers de fois sans les voir...
Je serais passée à côté de Bouddha lui-même !
C’est aussi pour cette raison que j’ai l’impression de renaître.
Si l’on me disait que j’ai aujourd’hui quatre ans d’âge,
je le croirais.
C’est génial.
Que sommes-nous sur terre ?
Rien, des petits trucs éphémères.
Et c’est quand on l’admet enfin,
qu’une incroyable énergie se met à circuler en nous.
Je vais peut-être passer pour une folle,
mais maintenant,
je crois que nous manipulons tous,
à tout instant, du spirituel.
Tous les jours, nous envoyons et nous recevons de la spiritualité.
Cela fonctionne comme un écho, un boomerang émotionnel.
On envoie "Je t’aime", on reçoit "Je t’aime".
On envoie "Je te hais", on reçoit "Je te hais".
Il n’y a rien d’aléatoire, de gratuit.
Les hommes politiques qui manipulent d’énormes énergies négatives,
peuvent recevoir en écho la guerre.
Le processus est observable dans le positif comme dans le négatif
- c’est pourquoi nous, séropositifs, devons faire tellement attention.
A la fin on devient très humble, très simple.
A l’époque où j’étais une intellectuelle
marxiste-léniniste-maoïste-situationniste,
j’édifiais de grandes théories,
mais dès qu’on me mettait dans un groupe,
je me sentais mal.
La sophistication intellectuelle est au moins aussi grave
que la gabegie consumériste.
Le Christ a dit :
" Heureux les simples d’esprit ".
Il ne l’entendait pas dans le sens d’idiot,
de simplet, juste dans le sens de simple.
C’est bon quand chaque mot retrouve son sens.
Ça fait ressentir ce qu’il y a d’immortel au fond de nous. »
Après que cet entretien ait eu lieu,
je suis devenu ami avec Martine
et j’ai pu maintes fois vérifier
qu’elle ne s’était pas payé de mots en me parlant
ainsi de sa propre évolution intérieure.
Souvent, en pensant à elle, je me suis dit que la volonté
et le lâcher-prise formaient décidément un bien étrange alliage
dans le cœur humain.
Je connais peu de personnes
dont le caractère soit aussi fort que celui de Martine.
Pourtant, quand elle a voulu me faire comprendre
avec le plus de justesse ce qu’elle ressentait,
depuis que son cheminement spirituel avait commencé
à métamorphoser sa vie,
elle m’a montré une peinture intitulée
Appel au grand esprit, de l’Américain Fraser (1925) :
on y voit un jeune guerrier sioux, quasiment nu sur son cheval,
les mains et le visage ouverts vers le ciel,
dans un geste de totale reddition et de totale confiance.
Avoir la certitude que,
quand nous aborderons la dernière ligne droite,
nous pourrons nous abandonner de la sorte
dans les bras de quelqu’un, voilà une question essentielle.
Propos recueillis par Patrice van Eersel
Envoyé par RequinMarteau999